« Deux nouvelles catégories d’informations changent complètement l’impression initiale : tous les projets avaient été étudiés, suggérés et préparés par les fameux cabinets d’études internationaux, sans l’intervention du moindre bureau d’études, expert ou consultant africain. Pis encore, tous avaient été également approuves par les institutions de Bretton Woods, qui quelques jours auparavant, << découvraient>> pourtant avec stupeur ce qu’elles dénonçaient initialement comme un <<gâchis africain>>…
Cette anecdote illustre bien une des raisons profondes de l’échec des politiques de développement engagés en Afrique depuis 1960. En effet si nul ne peut discuter de la responsabilité des leaders africains dans le drame actuel que vit le continent, il est également indécent d’absoudre les <<développeurs>> extérieurs des nombreux péchés qu’ils n’ont cessé de commettre, depuis un demi-siècle, au nom d’une prétendue compétence technique que l’on attend toujours de voir à l’œuvre.
Mieux cette anecdote éclaire le déficit de légitimité dont souffrent les politiques économiques africaines : conçues par des experts aussi peu imprégnés des réalités (historiques, économiques, culturelles) africaines qu’ils sont responsables des résultats de leurs expériences, ces stratégies de développement sont rejetés en bloc par des peuples en colère qui ne tolèrent plus d’être pris pour des enfants mineurs.
En vérité, à aucun moment dans l’histoire contemporaine de l’Afrique les politiques économiques n’ont été élaborées sur la base des besoins réels et des caractéristiques propres de ces pays.
En dépit des indépendances, les programmes de développementaux sud du Sahara notamment n’ont été que des tentatives maladroites de transférer des modèles économiques comme l’on fait du prêt-à-porter : malgré la température insupportable, le costume tris pièces et la cravate de laine au nœud serre constitue la tenue officielle exigée dans les administrations d’Abidjan ou de Douala.
Sans céder aux dérives fantaisistes d’une philosophie de l’ <<authenticité>> a la Mobutu Sese Seko, on peut tout de même se demander si l’apparat que constitue le costume trois pièces est véritablement la tenue indiquée sous un tel climat et réfléchir sur les implications culturelles et économiques d’un tel choix … Une telle réflexion n’a jamais été menée en Afrique.
Certains objecteront probablement a juste titre qu’une telle carence de réflexion dans le domaine de l’habillement n’est pas la cause essentielle des difficultés d’aujourd’hui. Mais
C’est pourtant le même type de démission dans le domaine de la pensée économique qui nous a conduit à la tournante actuelle. »
Extrait du live : « Sortir du piège monétaire », Célestin Monga & Jean-Claude Tchatchouang. Pages 90-91. Le titre est de la rédaction.