Tous les dirigeants africains croient « œuvrer pour développement de leur pays ». Pourtant, bien peu d’entre eux ont une claire idée le du contenu exact de ces mots qu’ils énoncent comme des slogans.

Le développement est-il simplement << l’ensemble des changements de structures mentales et des habitudes sociales qui permettent la croissance du produit réel global >>, comme l’a écrit François Perroux ? S’agit-il de mettre uniquement en place un processus qui permette l’augmentation du produit intérieur brut à un rythme plus élevé que celui de la croissance démographique, de façon à maintenir un revenu par tête en progression ?

Nous pensons que les choses ne sont pas si simples. Comme l’observent M. Gillis et ses collaborateurs, <<on recourt parfois, alternativement, à la «croissance économique » et au développement économique alors qu’une distinction fondamentale les sépare.

<<Croissance économique>> signifie une élévation du PNB. L’élévation de la production de biens et de services dans un pays, par quelques moyens que ce soit, peut être appelée croissance économique.

<<Développement économique>> a d’avantage d’implications. Ainsi les évolutions comparées de la Libye et de la Corée du Sud éclairent le fait que le PIB/PNB d’un pays peut augmenter sans que cela se traduise par un vrai processus de réappropriation du développement. On pourrait en dire autant du Gabon et du Koweit, de la Côte d’Ivoire et du Venezuela, des Iles du Cap Vert et de Singapour. Tous ces pays ont enregistré une époque de forte croissance du revenu par tête ; mais en Afrique, ce fut surtout le fait d’activité spécifique, liée à l’exploitation des matières premières, effectuées par des entreprises étrangères, au personnel dirigeant constitue en majorité d’expatries. Malgré les ressources importantes tirées de ces matériaux (et vendus exclusivement à l’étranger), les nationaux n’ont guère été intégrés à la production de cette valeur ajoutée. L’État s’est contente des taxes et des royalties, ne s’intéressant ni au transfert du know-how (savoir-faire) qui aurait permis l’émergence d’une compétence locale dans ces secteurs d’activité, ni aux changements fondamentaux qui auraient pu être suscites dans la structure de l’économie nationale. […]

L’ajustement structurel ne parvient que très difficilement à assurer la croissance globale, c’est d’abord parce que même dans l’hypothèse ou elle serait correctement appliquée, cette stratégie laisse une place limitée aux composantes essentielles de l‘offre ; de plus elle néglige l’investissement et ne tient pas compte du <<facteur inconnu>> qui stimule l’interaction entre les différents facteurs de production (le savoir, la technologie, l’éducation, la productivité, la participation, la prise de conscience collective…) […]

Si l’on aborde le problème du point de vue des pays africains, on peut qu’être frappé par le caractère limitatif et artificiel d’un développement économique mesure en termes de croissance du produit réel. L’étendue de la misère qui caractérise les villes et les campagnes au sud du Sahara est telle que nul ne saurait décemment se satisfaire d’un simple accroissement de volume des matières premières exportées. […}

Développer l’Afrique ne consiste donc pas simplement à doubler la production de pétrole qu’exploitent les multinationales, mais susciter un vrai processus de lutte contre la pauvreté de masse, initier une dynamique de prise de conscience qui transformerait les consommateurs en producteurs, Vaincre la pauvreté, c’est d’abord susciter le désir collectif d’enrichissement, c’est vaincre l’exclusion institutionnalisée, c’est combattre les politiques qui privilégient la <<la bonne tenue>> des comptes nationaux au détriment d’un tissu social qui s’effiloche, faisant peser à terme des menaces sérieuses sur toutes progression d’agrégats macro-économiques. […]

Il requière des leaders animes par une haute vision, et surtout capables de communiquer l’enthousiasme et l’esprit de solidarité a leur concitoyens, Cette conception du développement que l’on pourrait appeler <<africaine>> s’incarnait hier dans l’approche d’un Thomas Sankara. Elle se retrouve aujourd’hui dans le language de Jerry J. Rawlings lorsqu’il déclare: « [Before I came to power] most Ghanaians never had the opportunity to understand the real workings of the national economy, or to feel the confidence of their right to change the basis of decision-making. […]

Cette approche surprendra les théoriciens traditionnels du développement. Elle découle pourtant du bon sens le plus élémentaire et de l’expérience de l’Afrique en la matière. »

Extrait du livre : « Sortir du piège monétaire » de Célestin Monga & Jean-Claude Tchatchouang Page 103-107.